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>>> Marchons

Sans dire où l'on va, aller;
Sans voir où l’on est, passer;
Et que trépassent les mots, l’éclair, le lieu ou l’instant.

Que vrombissent les chaînes qui raclent aux pavés,
Que retentisse le couinement de nos semelles ankylosées,
Qu’articulent nos chevilles
Que grondent nos talons,
Qu’agrippent nos orteils,
Que grattent nos cornes au fond des chausses!

Qu’exhalent nos peaux,
Que fument nos essences!

Pissons la marche,
Huons nos cors et nos ongles incarnés,
Echancrons la plaie
Et taillons la plante.

Que gloutonné soit l’espace
Et chié par derrière.

Taillons, fauchons, halons, allons!

Marchons, fatiguons la poussière,
Epuisons la terre et éreintons l’horizon,
Fendons nos visions du bras timonier,
Pointons nos éclairs des tensions de l’index.

Déchaînons le tonnerre de nos pas,
Déracinons nos membres des lieux,
Traçons, visons, tendons.

Allons, tendons ces maillons!
Plus fort!

Tendons les maillons
Et démontrons, oui démontrons
Qu’il est vain d’ébranler ni l’acier ni l’anneau,
Si petit que même en rond l’on ne peut ambuler.

Alors, résolus et immobiles,
Fanés, décharnés,
Hurlons que l’on reste pour troubler l’alganon,
Jurons, crachons
Que jamais plus ne tenterons le cycle péronier,
Ou n’égrainerons l’en-aller,
Que jamais plus ne fuirons ni n’enjamberons.

Et bien sûr, nous mentons.

— juin 1996

 
 

© 1996 Thibaud Latour